Une idée préconçue voudrait que plus une musique est agressive, plus ceux qui l’écoutent ou la pratiquent le sont également !… A voir celles et ceux qui sont venus, samedi 10 septembre dernier, assister à la deuxième édition du festival de heavy-metal Pyrenean Warriors Open Air, on ne pouvait que constater qu’il n’y a rien de plus éloigné de la vérité que cet a priori. Sous le soleil de plomb baignant le parc de la Chapelle de Juhègues à Torreilles, ce sont ainsi quelques centaines de hard-rockers – principalement des quadras et quinquas ! – aux cheveux longs et tenues souvent fort colorées, qui sont venus en toute quiétude profiter d’un déferlement de décibels. Loin, très loin même, des grandes messes pop rock ou électro que l’on connait l’été, ce festival à taille humaine, organisé de main de maître et malgré un manque évident de moyens financiers, par une association de passionnés, a pu ainsi satisfaire les besoins riffesques de cette horde métallique à grands renforts de musique ultra puissante. Huit groupes – entre classique heavy metal, power metal et autre speed metal – comme autant de pépites soniques destinées à faire bouger les corps et, surtout, les têtes. Des récents Electric Shock aux vétérans américains Manilla Road, des italiens très énervés Hi Gh aux envolées lyriques des indestructibles français d’ADX, des puissants belges d’Ostrogoth – pour la première fois en France, chapeau bas aux organisateurs ! – aux sympathiques espagnols Iron Curtain, des impressionnants allemands Metal Inquisitor aux étonnants wallons d’Horacle, sans oublier bien entendu un public venu d’un peu partout, c’est toute la planète qui, pour quelques heures chaudes bouillantes, s’est donnée rendez-vous dans les Pyrénées-Orientales. De quoi bousculer quelques idées préconçues tout en donnant un maximum de plaisir à tous ceux qui aiment tant maltraiter leurs cervicales et leurs tympans !… De quoi donner des ailes à cette équipe de fous furieux, au demeurant hyper efficaces et hautement sympathiques, en charge de ce Pyrenean Warriors Open Air et les pousser, si besoin était, à faire grandir un peu plus encore ce joli festival l’an prochain en attirant, rêvons un peu, sur nos terres catalanes des groupes à l’envergure encore plus grande. Mais ceci est une autre histoire !
Car en ce beau samedi de septembre, lorsque mes pas me portent vers Torreilles, c’est avant tout au présent que je pense, ce rendez-vous rare en nos contrées avec cette musique qui décrasse les cages à miel et empêche notre sang de se figer dans nos artères, nous permettant, ce faisant, de rester éternellement jeune, au moins dans la tête. Pour preuve cette horde métallique que je croise en arrivant sur le site du festival, tempes grisonnantes sur vestes floquées de dizaines de patchs fleurant bon les eighties. On a beau être préparé, habitué même parfois, le choc est quand même puissant, me propulsant en quelques secondes trente et quelques années en arrière, en cette époque bénie et insouciante où je pouvais, moi aussi, arborer tee-shirts aimablement suggestifs, coupe mulet et pantalons pouvant faire passer une adepte de la télé-réalité pour une nonne coincée. Et si mon look a changé, me faisant me sentir presque décalé au milieu de ces adeptes du combo jean-cuir, l’état d’esprit, lui, est resté le même et me voici avançant souriant – in petto histoire de ne pas passer pour un échappé de l’asile local ! – au milieu des quelques dizaines de hardos déjà présents en ce début d’après-midi. A peine le temps de prendre mes marques dans ce site pour moi inconnu – oui, oui, j’avoue à ma grande honte que mes occupations annexes m’avaient tenu éloigné de l’opus 1 du PWOA, mea maxima culpa ! -, que les grenoblois d’Electric Shock investissent la scène pour lancer les hostilités d’une journée qui promet d’être chargée en forts décibels et en houblon rafraîchissant. L’avantage d’être aussi « vieux » et largué que moi, c’est qu’à deux exceptions près, la journée qui s’annonce sera placée sous le signe de la découverte. Et cette première rencontre, ma foi, est de fort belle augure tant le quintette sait y faire pour embarquer son monde dans un hard’n’heavy bien troussé. Avec son chanteur gigantesque – au propre comme au figuré ! – le groupe sait capter l’attention et faire bouger les têtes et les bras de ceux qui ont eu la bonne idée de venir tôt. Autant dire qu’avec un tel amuse-bouche, la suite ne pouvait qu’être de très haut niveau…
ELECTRIC SHOCK
L’avantage avec les scènes uniques – ou l’inconvénient selon le point de vue ! -, c’est qu’on a de fait le temps de se poser entre deux groupes. Et dans un monde qui a trop tendance à virer à l’instantané, à toujours vouloir être connecté et, finalement, se fond dans le moule des grands broyeurs de cerveaux que sont les réseaux sociaux, César modernes régnant sans partage ou presque sur un peuple d’esclaves volontaires assoiffés de like et autres gazouillis, prendre le temps de s’asseoir à l’ombre – car il y en a à Juhègues malgré ce que certains esprits chagrins m’avaient raconté ! -, avec une bière et laisser son esprit vagabonder, ça fait un bien fou, ça remet dans le bon sens, ça recentre un peu sur l’essentiel. Et cerise sur le flamby, pour un vieux du Muppet’s, ça permet aussi quelques petites vacheries intérieures de bon aloi… De quoi, en tout cas, me permettre d’attendre sagement l’arrivée sur scène des belges d’Horacle. Venu de loin, le combo n’est visiblement pas là pour faire de la figuration et ne s’embarrasse pas de fioritures pour nous asséner un heavy ultra classique. C’est propre, puissant et très carré. Seul petit bémol, les titres qui s’enchainent ont beau être sympas et percutants, ils n’arrivent pas à s’imprimer en moi. Est-ce la faute de références trop présentes, d’un set trop linéaire, je ne sais pas mais en dehors d’une impression générale positive, notamment grâce au chanteur souvent impressionnant dans ses montées, je n’arrive pas, à la fin du set, à être totalement convaincu. Je sais par avance que pour autant que ce concert ait été efficace sur le moment, je n’en garderais que des souvenirs diffus quelques heures plus tard…
HORACLE
Et me voici de retour dans mon petit espace presse à moi tout seul, sous un arbre, pauvre hère assis par terre comme un adolescent fatigué par le poids des longues années déjà passées à lutter contre les hormones. Mi assommé par la chaleur – écrasante à plus d’un titre -, mi attendri par heavy metal soldiers qui m’entourent et sont visiblement heureux de pouvoir partager ce moment dans de multiples langues – j’ai ainsi pu discerner beaucoup d’espagnol, un peu d’italien et quelques autres dialectes moins évidents, je regarde la fourmilière des « benevils » s’agiter en tous sens, œuvrant avec un sourire constant pour que tout soit parfait, qui répondant aux questions des festivaliers, qui transbahutant le matos des groupes du parking à l’arrière-scène. A force de fréquenter les grosses machines d’ici ou d’ailleurs, on en viendrait presque à oublier que l’on peut, aussi, faire bien, voire très bien, avec comme seul moteur la passion et l’envie. S’il en fallait une preuve flagrante, les Pyrenean Warriors l’apportent aujourd’hui avec force et évidence.
La force, c’est d’ailleurs ce qui caractérise le groupe suivant, à savoir les italiens de Hi-Gh… Et là, effectivement, on ne fait pas vraiment dans la délicatesse. Leur heavy speed envoie du bois et décoiffe joliment. On pourrait, comme pour ceux qui les ont précédés, leur reprocher un petit manque d’originalité mais l’ensemble est tellement percutant que l’on oublie bien vite ce défaut pour profiter des riffs qui s’enchainent à la vitesse d’un batteur au galop. Il y a quand même un truc qui me chiffonne avec eux et il n’est pas musical… Le truc quand, comme moi, on a passé la barre fatidique de la quarantaine depuis un moment, c’est qu’on repère les poseurs à vingt kilomètres et que ça décrédibilise quelque peu le versant musical. Certes, j’ai par la force des choses été un peu moins présent devant la scène hard-rock ces dernières années mais j’avoue que me retrouver devant un guitariste aussi poseur qu’Yngwie Malsmteen a été un vrai bain de jouvence. Je lui reconnais au moins, sinon le ridicule aurait été total, le bon goût de savoir manier correctement la six cordes et donc, de ne déclencher en moi qu’une envie de sourire plutôt amicale. Mais finalement ce n’est qu’un détail et, une fois passé le moment de mauvais esprit, je profite pleinement et intensément de l’envie de ces garçons de partager quelques mélodies sauvages.
Hi-Gh
Alors que l’après-midi se prépare gentiment à quitter l’arène, retour du côté de l’ombre pour, à nouveau, goûter aux joies d’une fraîcheur toute relative. Un petit tour d’horizon des photos floues prises jusque-là – normal puisque je remplace au pied levé derrière l’appareil mon binôme Laurene dont les oreilles ont décidé de jouer en mode fugue majeure et que même des bouchons aux petits oignons ne peuvent en l’état rendre opérationnelles ! – et je m’assoupis gentiment, la tête négligemment posée sur mon sac. Ah quel bonheur de se retrouver ainsi trente ans en arrière !… Douce torpeur qui, au bout de quelques secondes ou quelques minutes allez savoir avec ce temps élastique, est déchirée par les assauts d’une mélodie agressive. Quoi ?… Déjà !… Ok, ok, je m’y remets et rejoins tranquillement le crash barrière pour immortaliser le combo suivant. Deux flambeaux orange sur les côtés de la scène annoncent la couleur, le jaguar est dans la place. Non, pas Didier Morville mais les virulents espagnols d’Iron Curtain. Avec ces derniers, comme d’ailleurs avec le pré-cité, pas de quartier, pas de demi-mesure, c’est du speed à tous les étages, du qui saigne et rentre bien dans les conduits auditifs pour les décrasser. Et le moins que je puisse dire c’est que je ne trouve pas grand chose à jeter chez ce quatuor. Une batterie infernale, des guitares qui tranchent et découpent avec une précision redoutable, un zest d’humour métalleux pour agrémenter le tout, rien à dire, c’est un concert de haute volée que le groupe nous offre. A n’en pas douter, Iron Curtain a toute sa place parmi l’élite du genre et mérite amplement de se retrouver un peu plus haut encore dans les line-ups des festivals métal.
Iron Curtain
Après cette belle baffe sonique, il est temps d’aller se reposer un peu histoire de ne pas trop solliciter des cervicales déjà chauffées à blanc. Alors que je me vautre à nouveau le long d’une haie bienveillante, voici qu’arrive enfin un visage connu – et somme toute amical – en la personne de Pascal, le MC de La Tête Dans Le Public, venu s’émoustiller au contact de la « vraie » musique lui qui, généralement, navigue plutôt dans les eaux troubles de la soupe auditive. Très vite suivi par son complice es hard-rock Guy Boom-Bass, échappé pour une journée de son Brumaire catalan, me voici doté d’un renfort – j’allais dire de poids mais comme je tiens à l’intégrité de mon squelette je m’abstiendrais ! – bienvenu puisque, comme chacun le sait, les vieux du Muppet’s ne sont pas « un » !…
D’autant que nous voici arrivés aux portes du plat de résistance puisque, après ces quatre groupes d’ouverture, les headliners vont s’enchainer. Premier à se frotter à un public qui commence – enfin ! – à grossir, les belges d’Ostrogoth ont la particularité de venir jouer pour la première fois en France alors qu’ils ont commencé à massacrer les cordes au début des années 80. Au-delà de l’étrangeté de la situation, on ne pourra donc que féliciter les organisateurs du festival d’avoir eu la bonne idée de les inviter. Car assurément le niveau monte d’un coup. Magistral, le groupe a tout bon dans tous les secteurs de jeu. Guitares incisives et fluides, rythmique puissante, voix haut perchée mais diablement efficace du chanteur Josey Hindrix, tout cela a beau être old-school, sortir directement d’un siècle révolu, le plaisir est immense à écouter ce heavy hyper classique mais, aussi, hyper carré. Et si l’on en croit les poings levés bien haut et les têtes qui scandent les refrains avec force conviction, on peut sans nul doute conclure que je ne suis pas le seul à apprécier ce heavy d’un autre temps…
Ostrogoth
A peine le temps de souffler quelques secondes qu’un attroupement en devant de scène nous signale qu’il est plus que temps de reprendre notre place dans le pit. Loin d’être des inconnus, les allemands de Metal Inquisitor investissent en effet la scène devant un parterre bien fourni, preuve qu’ils sont attendus de pied ferme par une jolie petite troupe de soldiers. Fans qui ne seront assurément pas déçus tant le combo emmené par son chanteur au crâne pied nu El Rojo assume à la perfection son statut de chef de file de la nouvelle vague heavy metal allemande. Alors que doucement le soleil se couche sur la ligne d’horizon, Metal Inquisitor enquille les pépites catchy et les titres explosifs. Un brin d’humour entre les morceaux histoire de permettre à chacun de reprendre son souffle entre deux parties de jump et le tour est joué, l’assistance est définitivement conquise. D’autant plus qu’en parcourant la gamme qui va du heavy traditionnel au speed mélodique, le groupe dégage une énergie communicative qui ne se dément pas d’un bout à l’autre de son set et semble être sincèrement heureux de se trouver sur la scène du P.W.O.A. Ce qui somme toute est logique tant l’ambiance est ici excellente, loin des caricatures et des excès que l’on peut voir dans d’autres festivals plus orientés vers des musiques en conserve. Ce deuxième morceau de choix très logiquement nous ouvre l’appétit musical et nous met dans les meilleures conditions qui soient pour apprécier le set des français d’ADX… Enfin cela, c’est que nous pensions naïvement en nous retrouvant pour papoter entre Muppet’s…
Metal Inquisitor
N’ayant jamais, autant l’avouer en préambule, un grand fan de l’univers des parisiens d’ADX, plus porté que je suis vers les propos engagés et les textes signifiants, ces retrouvailles avec eux devaient, dans mon esprit, me « réconcilier » avec les pionniers du speed médiéval français. Si, d’emblée, les zicos me convainquent de leur prêter une oreille attentive, tous étant au top et à fond, mes oreilles saignent direct lorsque Phil Grélaud intervient. Loin, très loin de ses années de gloire, le chanteur, pour une raison qui demeure encore à l’instant où j’écris ces lignes un mystère, me fait plus penser à Johnny Hallyday sous tranxène qu’à un bon vieux routier du heavy français. Certes, ma mémoire peut me jouer des tours, ce dont je doute, mais il me semble bien qu’il n’avait pas, la dernière fois que j’ai vu le groupe sur scène, ce petit chuintement gênant et cette langueur monotone. Quel dommage car entre un son parfait, des musiciens qui se déchirent et donnent du volume à un répertoire qui normalement ne me touche pas, il y avait là tous les ingrédients nécessaires pour que je sois cette fois-ci conquis. Au lieu de cela, je prends lâchement et rapidement la poudre d’escampette pour amoindrir le choc et attendre paisiblement que la tête d’affiche du festival prenne le relais… Et surtout regarder ce que je peux faire pour essayer de réparer une batterie ayant décidé de se mettre en vrac, causant de facto quelques soucis récurrents pour prendre plus de 3 photos d’affilée…
ADX
Le temps passant finalement assez rapidement, c’est presque avec étonnement que nous voyons la fin de cette édition 2016 du PWOA se profiler sous les étoiles. Signe de qualité, je me dis que je n’ai pas vu les heures défiler et que j’en reprendrais bien une petite dose histoire de définitivement scotcher mes oreilles à la colle d’acouphène. Ce qui tombe bien puisque les vétérans de Manilla Road, indéniables et monstrueux headliners du festival, s’apprêtent à entrer sur scène. Et très rapidement confirment qu’aucun doute n’est permis, ils sont juste ahurissants. Ca joue merveilleusement bien, ça enquille les titres légendaires les uns derrière les autres avec une pureté absolue, mélangeant sans effort apparent feeling et technique irréprochable. Les américains sont en grande forme, cela se voit et s’entend puisqu’ils déroulent un set qui fait la part belle aux grands classiques du groupe, titres qui sont repris en chœur par un public extatique. Que rêver de mieux pour finir ce festival que ce combo qui, malgré les années passées sur les routes, a encore envie de bouffer du riff, de partager encore et toujours son univers avec les métalleux ?… Comment imaginer plus beau final pour un festoche que cet enchaînement de tueries soniques qui nous bousculent et nous remuent jusqu’au tréfonds ?… Un peu excessif me direz-vous !… Peut-être bien oui mais c’est ainsi que nous sommes faits, parfois enclins à utiliser moult superlatifs, parfois en mode merle moqueur, mais au final ravis d’avoir pu passer quelques heures de rêve entouré de gens qui, comme nous, savent apprécier cette musique si particulière pour ce qu’elle a de viscérale, de puissante, d’organique. Alors, une fois les lumières éteintes et les bières finies, on reprend doucement le chemin du logis, un peu triste que cela ne dure pas une ou deux journées de plus, mais heureux d’avoir vécu un beau moment et d’ores et déjà enthousiaste à l’idée de remettre ça en 2017 !…
Report et photos floues : Thierry
Merci à Pascal Mc Gyver (LTDP) pour l’astuce bout de carton même si elle n’a pas fonctionné… et à toute l’équipe des benevils du PWOA pour l’orga’ parfaite et l’accueil top sympa…