En première ligne de nos pulsions textuelles, il y a quelques cyborgs qui nous balancent des clashs en carton, des mots qui sonnent creux et ne trouvent de relief que lorsque l’on y met de l’autotune, il y a deux ou trois joueurs qui s’imaginent raper alors qu’ils ne sont que les énièmes acteurs d’une variétoche que l’on peut respecter mais qui est au hip hop ce que Céline Dion est au heavy-metal !… Et puis il y a ces artisans des mots qui, comme Davodka, nous tournent la tête à grand renfort de punchlines qui claquent au vent, de lyrics qui remuent les tripes sans ego et bousculent nos certitudes en deux trois exercices de styles, deux trois rimes tout sauf faciles. « A juste titre », son nouvel opus, n’est pas de ces albums qui s’écoutent en faisant autre choses, bien au contraire, le rappeur parisien a une telle richesse dans la plume, une telle envie de nous raconter la société telle qu’il la voit – vision qui rejoint bien souvent, voire tout le temps, la nôtre ! – que son flow, l’un des plus rapides sur le marché, nous capte d’emblée et jamais ne nous laisse respirer. Entrer dans sa vision nocturne d’un monde qui écrase les faibles et oublie qu’il existe des valeurs plus importantes que la virtualité et la superficialité, c’est ouvrir les yeux sur cette matrice implacable dans laquelle les petits poissons que nous sommes essaient plus ou moins de nager, obéissants plus ou moins aveuglément aux ordres d’une tour de contrôle ne désirant que nous laisser dans notre servitude volontaire. Davodka, homme au flow légendaire, ne s’embarrasse pas d’effets faciles ou de caches-misère factices, non, lui balance quatorze uppercuts qui nous laissent le souffle coupé, quatorze titres portés par des beats boom bap qui, pour classiques qu’ils soient, sont les vecteurs idéaux pour ses mots qui font sens. A l’ancienne, et alors ?!… Davodka a des choses à dire, sur lui, sur nous, sur le monde, sur la vie, et il le fait à la perfection, tapant là où ça fait mal avec ses mots, cash, parfois violents, jamais futiles. Solide, il traverse ses quatorze plages sans fausse note, sans baisse de rythme, preuve s’il en fallait une que l’artiste est de ceux qui sont capables de nous entraîner dans leur univers en quelques notes, en quelques mots. En quittant les rivages flous de la rive bouteille qui ici ou là rythmaient les nuits où se multipliaient les vers de trop, Davodka fait de son art vocal une arme de destruction massive, un outil majeur pour franchir une étape et, comme un clin d’œil, nous dire que sa dernière tournée est celle qui le mène vers les sommets. Davodka lance un appel aux enfants du monde pour que tous se projettent dans un avenir plus radieux, un avenir où ils seront libres, vivants. Animal nocturne qui secoue nos certitudes, il se bat avec ses armes, du bon son et des mots chantent la déprime d’une lucidité que rien ou presque ne vient contredire. Loin, très loin, des tenants d’un rap qui confond outrance avec pertinence, Davodka signe avec « A Juste Titre » un album juste parfait, merveilleusement bien écrit et totalement maîtrisé, un disque que l’on se surprend à écouter en boucle et qui, ici ou là, arrive à nous emmener dans une émotion pure plutôt rare dans ce game, un petit miroir qui est autant le reflet de nos erreurs collectives que la traduction de nos colères justifiées. A écouter plutôt deux fois qu’une !