Avec « Voyageur », Pierre Nesta nous entraine dans une sublime balade au cœur d’une vibe aussi consciente que touchante, nous offrant, comme l’indique le nom de son album, un voyage au long cours, paisible, humaniste, empreint d’une sensibilité à l’autre et à la nature, un trip aussi universel qu’intime. Magnifique album créée par un artiste non moins passionnant et attachant, « Voyageur » est de ces disques qui nous offrent des sensations si belles que l’on se surprend à les remettre en boucle sur notre platine. Aussi, lorsque nous l’avons croisé au Reggae Sun Ska, nous n’avons pu résister à l’envie de lui poser quelques questions, en toute simplicité, comme l’homme qu’il est, en toute convivialité dans le doux cocon du festival reggae français number one…
Dans ton album et ta chanson « Voyageur », tu partages ton amour de la découverte d’autres terres, d’autres cultures, cette “belle palette de l’humanité“ comme tu le dis si justement. Quelles sont ces choses que tu aimes trouver sur ces routes que tu parcours inlassablement ?
Ce qui me plaît le plus dans ces moments de voyage, c’est ce que j’appelle : la présence obligatoire. Lorsque tu es installé dans ta routine, tu peux te laisser aller à tes pensées imaginatives et tes habitudes prennent le contrôle de ta vie. Alors, que dans le voyage, pas celui des vacances mais celui de l’errance, de la découverte, tu es obligé d’être présent, à l’affût, afin de trouver un logement pour le soir, à manger dans la journée ou encore des informations sur les endroits à découvrir, les routes à parcourir. Cela t’oblige à être à l’écoute des autres, à poser des questions, comprendre leurs coutumes. Tu rencontres des personnes sur ta route et à travers elles, tu te rencontres et te redécouvres autrement, en sortant du confort quotidien qui, au final, nous pollue.
Où trouves-tu l’inspiration ?… Même si ta musique est fondamentalement originale, y’a t-il des musiciens qui ont été des déclencheurs, t’ont poussé à écrire et/ou chanter ?…
Ma toute première chanson, je l’ai écrite en anglais. A l’époque, je lisais énormément les paroles de Michael Jackson, grâce à un ami qui possédait les partitions complètes. Je cherchais à comprendre ses textes, ses messages tout en apprenant l’anglais. Ce fut donc une évidence de composer mon premier titre en anglais. Et puis, je ne souhaitais pas écrire en français au départ car il y a souvent une exigence supplémentaire que l’on s’impose lorsque l’on écrit dans sa langue maternelle. Parallèlement, j’ai commencé à jouer de la guitare sur les morceaux de Michael. Quant au chanteur qui m’a influencé, c’est clairement Bob Marley. Dès 8 ans, il a bercé mon enfance. Une découverte initiée par mon cousin. En grandissant, je l’écoutais partout, dans les bouchons de Paris, chez moi ou en marchant. Son cri a inspiré le mien, celui de la libération ou de la contestation. J’aime ce qu’il m’apporte en terme musicaux et spirituels.
Est-ce pour cela que l’anglais a été précurseur dans ta musique ?
Oui, cela m’a aidé à sortir de l’influence de la variété française. Une ouverture sur un monde où les Américains avaient le monopole apparent des projets aboutis. Même les Anglais proposaient de la qualité, je parle des Beatles ou des Pink Floyd. Ils étaient largement au-dessus de ce qui se produisaient en France. L’anglais m’a permis d’étendre mes frontières.Et puis le rythme redondant de la variété française avec ses sujets d’amour triste, sa monotonie, ne me convenait pas.
Quel a été le processus de création de « Voyageur » ?
Je ne force jamais rien. Je ne suis pas un bourreau de travail, je laisse l’écriture m’envahir. Parfois, je peux composer 5 ou 6 chansons dans la semaine. En fait, je pense que toute l’information existe déjà, que je la reçois et je la transmets. Ce serait prétentieux de dire que j’ai fabriqué cette chanson et qu’elle m’appartient. Je télécharge dans la vie, dans la nature, dans l’air, ce que j’ai besoin sur le moment, il faut juste être réceptif à la réponse. Pour moi, l’histoire s’écrit ainsi, couplet, mélodie et énergie. Si une chanson n’est pas terminée à l’issue de ce processus, alors je la laisse, si elle n’est pas inspirée, elle ne sonnera pas juste. Il peut s’écouler 6 mois sans que j’écrive une seule ligne, je ne m’en inquiète pas. Quand le moment idéal est là, c’est comme si j’ouvrais ma boîte aux lettres et que je recevais les morceaux, simplement.
Il y a un dicton qui dit : « vous avez deux vies, la deuxième commence lorsque vous comprenez que vous n’en avez qu’une ! »… Toi, ton changement de vie et de vision musicale a commencé lorsque tu as débarqué en Jamaïque, peux-tu partager avec nous cette expérience ?…
A cette époque, je doutais de mes compositions. J’ai eu une phase de chansons françaises acerbes et assez cyniques. Cela me positionnait dans une vibration négative. En arrivant en Jamaïque, j’ai renoué avec mon amour pour la musique Reggae. Ressentir l’énergie de ce peuple, leur adaptation innée aux forces de la nature, leur création permanente, ça m’a boosté. En deux jours, avec les musiciens, nous avons enregistré 11 titres. Ensuite, je m’y suis rendu à 5 reprises. En France, ce processus aurait mis un voire deux mois. Ce fut un choc de comprendre qu’ici c’était plus facile, car l’entourage et les vibrations m’envahissaient constamment. Ces musiciens magiciens, qui jouent avec de grands artistes tel que Jimmy Cliff ou Morgan Héritage, produisent du roots et du reggae comme ils respirent. Cet album n’a pas été simple à confectionner en autoproduction mais il a été évident à composer et enregistrer. J’ai commencé par faire le tour du pays, sans contacts au départ. Ma guitare m’accompagne partout, du coup les gens m’appellent créant des rencontres, des liens. Ces personnes font jaillir une lumière intense de vie, un feu qui ne peut s’éteindre. A tous les coins de rues, il y a un musicien talentueux, la cuisinière d’un restaurant chante, la barmaid chante, le gars sur un banc chante, c’est vivant et coloré. En Jamaïque, les personnes attendent leur tour pour avoir le micro en main et chanter, alors qu’en France personne n’ose. J’ai rencontré des rastas qui m’ont déconditionnés, ré-appris à vivre, à vibrer ensemble, à préserver nos ressources et respecter la nature. Une manière de vivre qui m’a reconnecté à la culture d’une vie où l’humain est un composant de la terre et non de son égocentrisme. La musique reggae amène ces goods vibes.
C’est ainsi à Kingston que tu as enregistré « Smile », ton précédent EP, avec des musiciens fabuleux, dans ce pays à l’atmosphère si particulière. Comment as-tu vécu cette expérience ?
« Smile » est, en fait, la première partie du dernier album «Voyageur». Cette ville, étrangement, m’a rappelé mon quartier de jeunesse, à Vaulx-en-Velin près de Lyon. Le principe est universel en fait, si tu déplaces en victime, tu attires les problèmes, si tu vas dans des endroits où tu ne devrais pas être, tu auras des ennuis. Il suffit de déclencher un système préventif. Personnellement, je n’ai jamais eu de soucis. J’y ai séjourné 5 mois. Et la plupart du temps, la police venait interrompre les soirées non parce qu’il y avait des problèmes mais parce que le reggae véhicule des messages pour raviver les consciences et que cela dérange où que l’on soit.
En parallèle, le surf et le yoga sont devenus, au fil des aléas de ta vie, de tes expériences, de véritables piliers de bien-être que l’on retrouve à travers tes mots et tes mélodies. Quel message souhaites-tu véhiculer ainsi ?
Je ne sais pas si je suis assez exemplaire pour être un exemple moi-même !… En tout cas, j’ai trouvé mon mentor : Eckhart Tolle, l’auteur du livre «Le pouvoir du moment présent». Je l’ai découvert en même temps que la pratique du yoga. Les deux combinés forment un bel apprentissage de reconnexion intérieure. La base de la vie est la présence à travers la respiration, la concentration, le bien-être personnel originel. Lorsque je reçois mes textes, c’est comme une sorte de post-it remplit d’amour. Tout cela, je me le répète tel un mantra quotidien.
Où souhaites-tu faire voyager tes futurs projets ?
A la fin du mois de septembre, je voguerai vers l’île Maurice. J’ai hâte d’y être, grâce aux premières rencontres de musiciens issus de ce beau pays. Ils sont ouverts, créatifs et tellement avancés musicalement, avec leurs influences indiennes et leurs percussions. Par la suite, pourquoi pas en Inde, car il s’y organise plusieurs festivals de reggae et je n’ai pas encore eu le bonheur de fouler leur terre. Les couleurs du reggae varient en fonction du pays d’origine, le mien est un «freggae» (ndr : french-reggae), le « Séggae » pour les Mauriciens et en Inde pareil, chacun apporte ses notes et ajoute sa particularité. Par exemple, aussi paradoxal que ça paraisse la pompe à la guitare de Georges Brassens s’approche des rythmes skank et s’apparente au reggae. Chacun confectionne sa recette avec les épices qu’il possède dans ses armoires.
« Voyageur » de Pierre Nesta /// sortie le 5 octobre 2018 /// Soulbeats Records