Romain Humeau

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Rencontre : le conteur vagabond Romain Humeau lève le voile sur son « Mousquetaire #1 »

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Loin des foules sentimentales et des modes qui trépassent aussi vite qu’elles naissent, Romain Humeau creuse un sillon à nul autre pareil. Tel un artisan qui sculpte la matière pure d’un art en perpétuel mouvement, en perpétuel mutation, il va là où ses pas mutiques le portent, passe du rock d’Eiffel aux vertiges des limbes de Michel Tournier, se frotte à l’univers de Bernard Lavilliers avant de laisser son imaginaire partir en une libre promenade au pays des contes vagabonds.
Une liberté qui se conjugue au présent avec un magnifique double album, «Mousquetaire», et une rencontre au long cours, rare et intense, avec nous pour nous parler de sa musique, de ses envies et de ses doutes aussi…

Quel chemin as-tu choisi de suivre pour déboucher aujourd’hui sur cet album solo «Mousquetaire ≠1» ?
A la fin de la dernière tournée en date d’Eiffel, pour l’album «Foule monstre», on s’est dit avec les autres qu’on allait faire une pause pour que chacun aille voir ailleurs, mette en place ses propres projets. C’est ainsi que je me suis attelé à mettre en forme des chansons que j’avais écrites lors de la tournée dans l’idée d’un album solo. J’avais douze, treize titres, que j’ai donc enregistré pendant un mois à la fin de la tournée. Je voulais faire quelque chose de pas prétentieux du tout mais d’ambitieux, quelque chose qui irait vers ce que je m’interdis de faire avec Eiffel, très arrangé, très pop. J’adore ça, je suis un grand fan de la pop anglaise des sixties, même si j’ai pu découvrir et aimer d’autres styles, comme la musique baroque, le free jazz, le métal, l’indus japonais, le hip hop… Je voulais faire quelque chose de diffus.
Sur ce, Bernard Lavilliers me demande d’écrire deux, trois chansons avant de me demander de le rejoindre à Paris pour travailler sur une autre, «Scorpion», qui devait figurer sur cet album, «Baron Samedi», et, de fil en aiguille, il me propose de réaliser les trois quarts de ce disque. Résultat, je me suis arrêté quatre mois avant de revenir à mon album. Huit, neuf mois se sont écoulés. Sauf que je n’écris pas pour faire un album, j’écris tout le temps. Donc, il n’y avait plus treize chansons, il y en avait dix-huit.
Là, Alexandre Plank de France Culture m’appelle et me propose d’adapter l’œuvre littéraire de mon choix et de mettre en musique une narration faite par un acteur. Je choisis «Vendredi ou les limbes du Pacifique» de Michel Tournier et c’est Denis Lavant, un ami, qui se colle à la narration. Et ça devient un disque de vingt-cinq titres. En gros, j’ai écris un album au milieu de mon album. Ce n’était pas prévu mais cela m’a pris six mois de plus. Mais j’ai continué à écrire des titres en parallèle. A ce moment, Bernard Lavilliers me rappelle pour produire son dernier album en date, «Acoustique». Deux, trois mois de plus ont passé et lorsque je me réattelle à mon album, j’ai trente chansons. Ce qui veut dire que j’en ai écris cinquante et jeté vingt, mais je sais que je veux les faire. Je sais aussi que cela ne peut pas aller dans Eiffel mais peu importe, je les enregistre toutes car je tiens à ce qu’elles sortent toutes.
Du coup, en trois ans, j’ai réalisé deux Lavilliers, lui ai écrit trois chansons, ai écrit et produit «Vendredi ou les limbes du Pacifique», composé «Mousquetaire» soit trente chansons. Mais, pour des raisons techniques, ma maison de disques ne pouvait pas les sortir en même temps. C’est pourquoi il y a ce «Mousquetaire ≠1» aujourd’hui et, l’année prochaine, la deuxième partie.

Pourquoi «Mousquetaire» d’ailleurs ?
Il n’y a pas de raison particulière. En fait c’est vraiment pour le fun, pour la sonorité. Et aussi parce que lorsque j’étais gamin, de 4 à 11 ans, j’avais tout le temps une cape, un chapeau avec une plume d’autruche et des bottes en plastique dans lesquelles je rentrais mon pantalon, comme d’Artagnan, Fanfan la Tulipe ou Robin des Bois. J’étais totalement cape et épée… Ceci dit, même si cela n’a rien à voir avec le contenu de «Mousquetaire», il y a un petit côté Quichotte dans cet album. C’est d’ailleurs le nom d’une chanson du deuxième disque, comme une prolongation de « L’homme de la Mancha ». Cette idée de se mettre dans la position un peu ridicule de faire un disque alors que personne ou presque n’en achète plus. Pourtant, c’est capital pour moi d’écrire et de partager. Aujourd’hui, je me demande si tout cela n’est pas dépassé par la pub, si les chansons ne sont pas devenues finalement un support pour la pub sur le net. Avant, le produit d’appel pour aller sur internet c’était la musique, maintenant que tout le monde est connecté sur son portable, sur son laptop, la musique s’efface. «Mousquetaire» porte donc un regard acerbe, dur, sur un pan de notre société actuelle même si je garde une forme de tendresse vis-à-vis de l’être humain dans sa fragilité, dans sa bêtise.

Qui dit deux albums et trente chansons dit choix. Comment as-tu trié ces titres pour les répartir sur les deux albums ?… Par atmosphère, par thème, par évidence du hasard ?…
Il n’y a pas eu de choix de ma part. Elles ont été écrites en même temps. Ce premier «Mousquetaire» n’est pas plus sage que le second mais peut-être un peu plus doux. Le second, lui, n’est pas plus rock mais peut-être un peu plus barré, a quelques folies, alors que le premier, lui, a quelques bizarreries, quelques curiosités.

Qu’entends-tu par curiosités ?
Sans prétention, j’essaie toujours de parler de ce que j’ai essayé de faire. Là, j’ai essayé de mélanger la pop royale, celle des Beatles, de Bowie, d’Iggy Pop, des Pixies et de Damon Albarn, à ce que l’on entend aujourd’hui, pas pour être à la mode mais pour ce que cela apporte aux morceaux. On me dit de temps en temps qu’il y a de l’électro dans mon album mais non, il n’y en a pas !…
C’est juste que j’utilise certains procédés qui le sont. Je ne suis pas électro pur, ça ne me correspond pas…

Ce qui t’intéresse c’est de mélanger les choses…
Voila, il y a un pan de la musique africaine aussi. J’emprunte aussi à la musique du 18ème siècle… Mais sous prétexte qu’avec Eiffel on a fait des albums très rock, – le prochain le sera peut-être aussi qui sait, on fera peut-être quelque chose d’abrasif, un disque de vingt minutes hyper puissant !-, on voudrait que je fasse exclusivement du rock. Mais j’aime tellement de choses différentes.
Sur «Mousquetaire», j’ai voulu prendre également d’autres directions musicales comme le hip-hop par exemple, la “vieille” chanson française sur «Politkovskaïa» ou, comme sur «No one wins», mettre une batterie qui fait référence à Phil Collins. J’ai essayé aussi de mettre de l’humour dans la musique même si mes textes sont tristes. Moi, je n’ai pas de problème de genre… j’ai des problèmes dans chacun des genres.
Au niveau des textes, j’ai essayé d’aborder l’écriture différemment. Ce que j’ai fait que je n’avais jamais fait avant c’est, lorsque j’avais une mélodie qui ne pouvait pas être mise en français, lui donner des mots anglais. Avant, je l’aurais juste jetée. Le fond et la forme ne peuvent être séparés, une mélodie, c’est subliminal, ça dit aussi des choses aux gens de manière concrète. Ce que nous disons aux gens lors de ces moments vibratoires peut les soigner ou leur faire du mal. C’est un vrai langage. Moi, je ne souhaite pas du tout écrire un texte dont on puisse penser qu’il est fini. Je veux que la personne qui l’écoute se pose des questions, signe la chanson avec moi. Je dis toujours que je ne veux pas chanter le bar ou l’ardoise, je veux chanter ce qu’ils dégagent, l’aura des choses, l’aura des gens.

Comment crées-tu une chanson, comment naît-elle dans tes mains ?
La plupart du temps c’est d’abord une envie de prendre la guitare, de me mettre au piano plutôt que l’idée d’écrire une chanson. Je n’ai même pas besoin d’un instrument d’ailleurs car je connais l’harmonie ce qui me permet parfois d’écrire une partition. C’est même là que je suis le plus libre car l’instrument n’est qu’une prothèse qui nous emmène directement vers des réflexes pavloviens. C’est dans sa tête qu’on est le plus libre comme disait Boris Vian. Ecrire des chansons, ce n’est pas forcément pour les autres ou pour sortir un disque, c’est d’abord pour se faire du bien. A la base c’est donc un premier jet inconscient qui, ensuite, va vers le conscient. Ainsi, souvent la musique arrive très vite alors que je mets beaucoup plus de temps pour les textes.
Ces derniers temps, je suis revenu à ce que je faisais à l’époque de «Abricotine», le premier album d’Eiffel, à savoir écrire la musique d’abord puis mettre les textes. Ce que j’avais arrêté de faire il y a une quinzaine d’années car j’avais beaucoup de choses à dire. Cela a fini par prendre le pas sur la musique qui est devenue plus simple. Maintenant, j’en suis arrivé à un point où j’essaie d’articuler les deux avec la même qualité.
Mais c’est vrai que je suis revenu à l’idée de la musique en premier puisque, pour moi, elle est la forme la plus artistique de ce que j’ai à dire. Le texte, de fait, même si j’adore l’écrire, est un outil moins métaphysique. Ceci dit, quand on fait une chanson, on est obligé d’avancer des choses un peu plus grosses que soi-même. Là où l’on est le plus précis en chanson, c’est, pour moi, là où l’on est le plus poétique, le moins compréhensible directement. Dès que l’on commence à être dans le réalisme, ce que je ne fais quasiment jamais, on se trompe.
Avec Eiffel, j’ai essayé d’écrire une chanson de rébellion, qui est pas mal passée à la radio d’ailleurs, «A tout moment la rue», mais ce n’était qu’un constat. Si on lit le texte à plat, on se dit que le mec n’invente rien, qu’il se contente de faire le constat que dans notre pays, les révolutions ont pu, en bien ou en mal, faire changer les choses. 
Pour moi, une chanson n’est jamais terminée. Tu as beau l’avoir composée, enregistrée, mixée, publiée, elle n’est jamais terminée. Quand on fait quelque chose qui parle de soi-même, qu’on le donne à voir, à entendre aux autres, on essaie d’ouvrir des portes, de communiquer. Parfois ça marche mais pas tout le temps. C’est difficile car le monde tel qu’il est actuellement n’est vraiment pas fait pour les flâneurs, pour les rêveurs. Moi, si je veux qu’il y ait une réalité, il faut que je rêve. Elle ne peut pas exister sans le rêve.

Une réalité que tu trouves en écrivant des chansons ?
En écrivant de la musique, on ne fait que retrouver des choses qui existent. Damon Albarn dit que sa tête est comme une énorme piscine où il y a des chansons qui nagent et où chaque matin il va en choper une. Pour moi, c’est un peu la même chose. Je n’ai pas vraiment l’impression d’écrire des chansons mais, à un moment donné, d’être juste un médium qui permet d’en attraper une dans l’âme, sans pour autant aller vers l’ésotérisme ou des choses comme ça !…
La plus belle chanson, c’est celle que je garde le plus longtemps possible et qui m’est imposée comme une évidence. En fait, je suis juste un outil, j’ouvre des portes.

Tu viens de terminer une résidence pour travailler le passage de «Mousquetaire» à la scène. Comment celui-ci se dessine-t-il ?
Le maître-mot de tout ce que l’on a travaillé est la dynamique. Sans être prétentieux, je pense que ça va être énorme sur scène.

Tu as travaillé les trente chansons ?
Non (rires)… J’en ai travaillé dix-neuf, treize du «≠1» et six du «≠2». J’en joue deux ou trois de «L’éternité de l’instant», mon premier album solo datant d’il y a dix ans, et deux reprises. On a donc une vingtaine de chansons prêtes à être jouées sur scène. Mais on ne pourra pas les jouer toutes tous les soirs donc cela nous permettra de les bouger comme on veut, comme on le sent sur le moment. Je veux avoir du plaisir à m’étonner sur scène, à prendre des risques et donc surprendre les gens. Mais avec toujours en tête cette idée d’être dans la dynamique. Même s’il y a des titres comme «Marjane» très voluptueux, très charnels, il y a aussi des morceaux très métalliques comme «Struggle inside» ou «No one wins», ce qui donne beaucoup de nuances. Avec Eiffel on fait du rock, on attaque à fond et on finit à fond même s’il y a quelques descentes.
Là, j’ai l’impression d’avoir un orchestre symphonique dans les mains et ça m’excite énormément. Je voulais aussi que tout le monde chante, qu’il y ait beaucoup d’harmonies vocales insérées dans des parties instrumentales assez complexes. On ne travaille pas du tout la scène pour savoir ce que l’on va faire à quel moment, ça je préfère le laisser pour l’instant, je préfère laisser la parole à la spontanéité, quitte certains soirs à être complètement bloqué. Ce qui me plait c’est de donner chaque soir ma version de la journée d’une chanson inscrite à l’origine dans un recueil intemporel.

Retrouvez notre chronique de « Mousquetaire #1 » >>> ici

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